Format : 20,3cm x 10,3cm
Nombre de pages de l’édition imprimée : 232 pages
Vendu par : Thrillerama
Langue : Français
ISBN : 9781090414625
Résumé : Émilie Frinch est une adolescente rebelle, curieuse, qui sait répondre coup sur coup aux harcèlements de ses camarades. Perrine, sa voisine de quatorze ans, est retrouvée noyée dans les marais. La police conclut à un accident. Mais pour Émilie, il s’agit probablement d’autre chose, car tous les jeunes de la région savent qu’on ne s’aventure pas la nuit autour de ce marécage. L’arrivée d’Alexandre dans sa classe va l’aider à découvrir la vérité. Cette amitié authentique et solidaire, les conduira-t-elle à une première romance ?
EXTRAIT
Jeudi 8 septembre
Tout à l’heure, Maman est rentrée de son travail pour se précipiter dans ma chambre tel un ouragan. J’étais allongée sur mon lit, les pieds nus collés contre le mur, dans la parfaite posture de la fille qui ne fait rien de sa vie. J’avais oublié de faire réchauffer le dîner et elle hurlait comme si j’étais sourde. À sa plus grande exaspération, je n’ai même pas tenté de me défendre. Je me suis levée sans un mot pour me traîner jusqu’à mon bureau avant d’ouvrir un livre de classe tout en soupirant.
La vérité, c’est qu’ils ont retrouvé le corps d’une fille de quatorze ans, en bordure du Marais des Verraq, hier matin. Je suis encore sous le coup. Cette ado était la fille de mes voisins qui la recherchaient depuis plus d’une semaine.
Je les avais aidés en postant des annonces assorties de photos un peu partout sur internet en espérant qu’on la reconnaîtrait. Au début, tout le monde a pensé à une fugue suite à un conflit entre son père et son petit copain. Mais non. Perrine Jourdan est morte sans qu’on ne sache pourquoi ni comment. Au collège, les élèves ont été choqués d’apprendre cette nouvelle. Personne ne sait ce qu’elle faisait là-bas. On peut comprendre qu’une touriste ou une passionnée de nature s’aventure dans ce marais par ignorance, mais pas quelqu’un du coin. Nous savons tous que l’épaisse végétation dissimule de profondes crevasses qui peuvent nous capturer avant de nous aspirer dans ces eaux sombres, profondes et dangereuses. Même les plantes alentour ne sont d’aucun recours, plus on se débat, plus le marais nous dévore. C’est la règle. Seule une aide extérieure venue de la terre ferme peut nous sortir de là. Si personne n’intervient, c’est la fin.
Je n’arrête pas de penser à Perrine, à ce qu’elle a pu ressentir au moment de mourir. Est-ce qu’elle était seule ? Est-ce qu’elle a souffert ? S’agit-il d’un accident ou d’un meurtre ?
Ce matin, avant de quitter le couloir de l’immeuble pour me rendre au collège, j’ai entendu des voix masculines provenant de chez la voisine. Comme dit Maman, « les murs sont en papier crépon. Quand tu parles dans les communs, tout le monde sait ce que tu racontes à tes copines ». Elle a raison. Mais dans la conversation d’à côté, le sujet était autrement plus grave et je suis trop curieuse pour ne pas avoir tendu l’oreille :
— Pourrions-nous voir le corps ? a demandé Madame Jourdan. Nous voudrions juste lui dire adieu…
— Ne vous infligez pas cette torture, Madame, lui a répondu une voix virile. Il vaut mieux que vous gardiez de Perrine une jolie image. L’identification ADN est catégorique. Sans marque de coup ou de résistance, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’une noyade. Nous vous tiendrons au courant si nous avons des éléments nouveaux. Mais il vaut mieux vous faire une raison. Courage !
Accroupie dans l’entrée, je faisais mine de chercher des affaires dans mon cartable quand la porte de Madame Jourdan s’est ouverte brusquement et que deux hommes sont sortis.
À voir son air plein d’assurance, le plus petit devait être le chef.
Une longue mèche noire raide descendait sur son front et il la rabattait continuellement derrière son oreille de façon nerveuse. Le plus grand, plutôt mignon, avait le visage fermé. Il m’a lancé un regard perçant, comme s’il me jugeait, et j’ai vu qu’il avait compris que j’étais en train de les épier. Je me suis aussitôt sentie rougir et j’ai quitté le couloir en deux temps trois mouvements, sans même les saluer.
Pauvre Perrine. C’est encore plus triste de savoir que les policiers ne croient pas à une mauvaise rencontre. Cette fille n’était pas vraiment une amie. On se parlait souvent parce qu’elle habitait à côté et que nous avions presque le même âge, mais nous n’échangions pas de réelles confidences. Cela n’était pas nécessaire. Nos mères passaient suffisamment de temps à comparer leurs ados respectives. J’ai surpris plus d’une conversation où Maman cherchait la situation la plus cocasse à rapporter à sa consœur, comme si elles étaient des anthropologues et nous, des animaux de laboratoires. C’est le genre de situation que nous impose la dépendance aux adultes. Il faut être patiente jusqu’au jour béni où je serai majeure et enfin libre, c’est tout.
Au collège, Mélodie m’a raconté que Perrine sortait avec Alban Zbornak, un troisième très grand. Selon elle, un mercredi après-midi, le père de Perrine les aurait surpris en train de s’embrasser dans sa chambre et il aurait viré Alban sur-le-champ, un coup de pied au derrière en prime. Depuis cet incident, les deux ados ne se voyaient quasiment plus. Évidemment, même si elle avait été désespérée, Perrine ne se serait jamais suicidée et certainement pas au bord du Marais. Cela me semble la plus impensable de toutes les hypothèses. Je suis certaine qu’elle n’était pas seule à ce moment-là. Je veux dire que je suis persuadée qu’elle a été assassinée. Ce n’est pas possible autrement.
Vendredi 9 septembre
J’ai de nouveau passé la soirée toute seule. Je sais bien qu’à quinze ans je n’ai plus besoin de nounou, mais tout de même. Ce n’est pas marrant de dîner accompagnée d’un plateau-repas devant la télé, trois soirs par semaine. Il y a bien Moka, le chat que Maman a « sauvé de la mort », mais il ne m’aime pas. Depuis son arrivée, il me lance de drôles de regards. Il m’évite, se tient à distance, s’enfuit dès que je m’approche de son périmètre d’espace vital. Peut-être que j’ai une aura dont les chats se méfient. C’est vrai, il y a des personnes que les animaux adorent dès le premier contact. Malheureusement, pas moi. Mais je préfère plaire aux humains. Sans être la fille la plus populaire du collège, j’ai pas mal de copains. Il faut dire que je ne répète rien de ce que l’on me raconte, alors les gens me font plus facilement confiance.
Ma meilleure amie s’appelle Wendy. Nous sommes comme deux sœurs. Elle est intelligente, intéressante, ouverte, charmante, sensible, originale. L’ennui c’est que Wendy habite Reudor, de l’autre côté de la ville, et qu’on ne peut se voir qu’au collège. Heureusement, il y a Messenger. Nous sommes comme deux folles à nous raconter n’importe quoi pendant des heures. Parfois on allume nos caméras tout en faisant nos devoirs et nous échangeons tous les ragots du collège. Oui, de vraies folles. Mais on s’amuse bien. Maman dit que toutes nos conversations sont enregistrées sur des serveurs et qu’un jour elles referont surface. Elle est complètement parano et croit que les grimaces que Wendy fait devant sa caméra peuvent intéresser quelqu’un à l’autre bout du monde.
Aujourd’hui en classe, un nouveau est arrivé. Il s’appelle Alexandre et il est super-mignon. Évidemment toutes les filles l’ont dans le collimateur. Il s’est installé près d’une fenêtre et un rayon de soleil l’a illuminé, comme si c’était un ange. Il a des cheveux blonds tout ébouriffés, un polo et un short de tennis, des baskets et des chaussettes, le tout parfaitement blanc. Sa peau est légèrement dorée sous les petits poils clairs de ses jambes. À la récré, c’est Antoine qui est allé le trouver le premier, au grand désespoir de Sarah et de sa bande qui partageaient les mêmes intentions. Antoine a essayé de capter son attention en lui montrant des vidéos sur son portable, mais Alexandre n’a pas semblé intéressé. Il est reparti vers l’allée de peupliers, les mains dans les poches, avec l’air de très bien supporter sa solitude. Intriguée, je me suis renseignée auprès des garçons à qui il n’a pas prononcé un mot de toute la journée. Eux aussi ont trouvé cela bizarre de la part d’un garçon de notre âge. C’est fou comme on peut s’intéresser à ceux qui cachent quelque chose, alors qu’on ne trouve aucun intérêt à celles et à ceux qui se livrent sans aucun filtre.
Maman est rentrée à vingt-trois heures dix-sept en faisant sa tête d’enterrement :
— Tu n’es pas encore couchée ? m’a-t-elle demandée d’un ton contrarié.
— On est vendredi soir, Maman ! Tu t’es bien amusée ? l’ai-je coupé pour détourner l’attention.
J’ai tout de suite senti qu’elle allait me lancer un bobard sans chercher un instant à trouver quelque chose de crédible.
— Oh ! Tu sais, c’était un dîner dans un restaurant chinois avec mes anciennes collègues du bureau… Rien de spécial…
— C’est amusant, lui ai-je aussitôt répondu avec mon petit air espiègle, tu m’as déjà raconté la même chose, avant-hier. Il faut te renouveler ma petite Maman chérie !
Elle m’a lancé un regard furieux et a presque jeté son sac à main sur la table de la cuisine en soupirant.
— Ça suffit ! Je n’ai pas de comptes à rendre à une gamine de quinze ans ! Alors maintenant va faire ta toilette et couche-toi. Je ne veux plus t’entendre ! Demain matin il va encore falloir une grue pour te tirer du lit !
— Je n’ai été en retard qu’une seule fois, depuis la rentrée, me suis-je révoltée. Et encore, c’est le bus qui n’avançait pas à cause des inondations ! Je n’ai pas école, demain…
— Tais-toi et fiche le camp ! a-t-elle fini par crier, sans autre argument, à bout de nerfs.
Pendant qu’elle pestait dans la salle de bains, je me suis rendue dans ma chambre pour écrire ce journal sur ma tablette. Maman n’a pas besoin de faire tant de mystères. La vérité, je la connais. Un jour, lorsque j’étais petite, elle a posé ses mains de chaque côté de mon menton en prenant un air solennel :
— Tu sais, ma chérie, un jour je referai ma vie. Ça ne sera pas avec Papa, mais je tomberai amoureuse d’un homme et nous formerons une nouvelle famille. Et moi, je serai toujours ta Maman, quoi qu’il arrive, parce que je t’aime !
Elle s’était relevée avant de poursuivre, se parlant à elle-même, comme si je ne l’entendais plus :
— Remarque, je dis ça, mais au train où vont les choses, vous allez voir que tu seras mariée avant moi…
Maman n’avait pas tout à fait tort. Les années défilaient comme des gifles, j’atteignais mes quinze printemps et personne ne partageait sa vie, à part un chat rebelle et moi qui la rappelait à la réalité des choses. Côté cœur, c’était morne plaine.
La vérité c’est qu’à coups de Meetic et autres soirées débiles de speed dating, elle cherchait désespérément un homme pour rompre sa solitude de femme. Elle considérait que tous nos problèmes provenaient de l’absence d’un mâle (autre que Moka) à la maison. Comment j’en étais si persuadée ? Simplement parce que j’ai commencé à enquêter sur Maman, il y a déjà pas mal d’années.
J’ai toujours été forte à ce petit jeu-là.
J’ai été la première à percer le secret de Papa. Je me souviendrai toujours de son regard mêlant terreur et tristesse, lorsque je l’ai découvert. Évidemment, je n’ai rien dit à personne. Si j’ai le don de découvrir ce que cachent les autres, je sais aussi rester à ma place. C’est la seule condition pour qu’ils continuent à me faire confiance. Et si Maman a tendance à me considérer comme un animal de laboratoire, elle oublie parfois que je lis en elle et en Papa comme dans un livre. Et leur histoire est tout ce qu’il y a de plus original.
Samedi 10 septembre
Hier soir, pendant que je descendais la poubelle dans le local situé à côté de l’escalier menant à la cave, Moka a profité de la porte ouverte pour s’évader. C’est à croire que l’appartement est pour lui un camp de concentration, alors que sa vie consiste simplement à manger, dormir et épier mes moindres faits et gestes comme s’il était un espion à la charge de Maman. Mais pendant que je me débarrassais de mon sac dans un bac de recyclage, j’ai entendu quelqu’un faire tomber quelque chose sur la moquette des escaliers. Une voix inconnue masculine a dit : « Bordel ! » d’un ton excédé avant de ramasser l’objet et de dévaler les marches à toute vitesse. Comme son timbre viril si inhabituel m’avait effrayée, je suis restée cachée dans l’encadrement de la porte. Mais je l’ai bien reconnu. Ce grand homme plutôt soigné d’une trentaine d’années était l’un des deux policiers sortis de chez Perrine, la veille. Ce flic m’avait fusillée du regard quand il avait découvert que je l’espionnais. Les cheveux blonds, l’allure sportive, vêtu d’un jeans et d’un blouson en cuir noir, il avait l’air préoccupé. Comme il pleuvait à l’extérieur, j’ai attendu qu’il reparte pour remonter l’escalier et découvrir où s’arrêtaient ses pas. J’ai caressé la moquette pour déceler que les traces d’humidité prenaient fin au second étage, devant la porte de Madame Abramovici. Qu’est-ce que ce flic était venu faire chez elle, à près de vingt et une heures ? L’interroger à propos de la disparition de Perrine ? Pourquoi s’était-il enfui au pas de course, comme un voleur ?
Je redescendais à notre appartement, le chat dans les bras, quand j’ai entendu de nouveaux bruits provenant du couloir. Je suis vite rentrée chez moi pour repousser la porte discrètement. Mais dans l’entrebâillement, j’ai vu quelqu’un équipé de gants, d’un chiffon et d’une bouteille d’alcool ménager se diriger aux étages supérieurs. J’étais tellement surprise que j’ai fait claquer la porte d’entrée. Soit je me faisais un film, soit il se passait quelque chose d’anormal au-dessus de chez nous.
Maman regardait la télévision et je n’ai pas osé lui faire part de ce que je venais de voir. Moka sous le bras, je suis retournée dans ma chambre où Wendy avait tenté de me joindre à plusieurs reprises via ma tablette :
— Tu es vraiment cinglée, ma pauvre Émilie, m’a-t-elle déclaré après ces confidences. Tu devrais arrêter les romans à suspense, ils déteignent sur toi. Elle s’est regardée sur l’écran de son ordinateur en faisant une “duck face”. Tu me trouves comment, physiquement ? m’a-t-elle demandée comme si cela avait un quelconque intérêt.
Wendy était une petite brune plutôt jolie, mais qui ne faisait pas d’efforts surhumains, comme d’autres filles de la classe, pour ressembler à une youtubeuse ou une star de la télé.
— Ça va, lui ai-je répondu. Franchement, il y a pire, même quand tu fais ta moue de canard botoxé. Tu veux une note de zéro à dix ? Alors deux ! ai-je dit avant d’éclater de rire.
— Je te remercie pour les compliments. Au moins je suis certaine qu’ils sont sincères, a-t-elle lancé avant de me faire une vilaine grimace. Je m’appelle Wendy Zagadon et je suis laiiiide ! Bouh ! Personne ne veut de moiiiii…
Maman a fait irruption dans ma chambre au moment où je riais à nouveau.
— Ça te dirait du pop-corn avec de la délicieuse glace à la vanille aux noix de pécan ? m’a-t-elle demandé.
— Beurk ! lui ai-je répondu. Pourquoi pas une choucroute, tant que tu y es ?
Maman a disparu presque aussi promptement, sans doute vexée que je ne partage pas avec elle sa crise de boulimie.
— Qu’est-ce qu’il y a ? m’a demandé Wendy qui continuait à peaufiner ses poses de starlette devant sa webcam.
— Non, rien. C’est juste ma mère. Elle essaie de combler son manque affectif en s’empiffrant de sucre. C’est classique. J’ai vu une émission là-dessus. Tu vas à l’enterrement de Perrine, lundi ?
— Oh ! Non, ça ne va pas ? a-t-elle protesté. Pourquoi pas dans une morgue, tant que tu y es ! C’est trop flippant !
— Je te comprends, ai-je répondu. Maman pense que c’est un million de fois plus atroce pour ses parents. Tu imagines si en plus il n’y avait personne à la cérémonie ? Moi j’irai, rien que pour ça.
— Bon, OK, a continué Wendy d’un air royal. Mais je risque de pleurer comme une madeleine, c’est sûr.
Son portable a sonné et comme c’était son père, nous avons déconnecté sans plus de commentaire. Je suis ensuite allée voir Maman qui digérait son gueuleton avec sa mine coupable. Elle lisait l’un de ses romans sentimentaux, allongée sur le canapé en mode zen, dans son pantalon de jogging et son sweater gris acheté à Disneyland, entourée de photophores et de son brûle-parfum diffusant du patchouli.
— Il reste de la glace ? ai-je demandé, presque par solidarité, sans en avoir vraiment envie.
Elle a levé les yeux vers moi, l’espace d’un instant :
— Bien sûr, ma petite chérie, m’a-t-elle répondu. Mais ne te sens pas obligée de m’imiter, s’est-elle reprise. Tu es jolie, Émilie, tu as toute la vie devant toi pour te laisser aller.
Ce qui est bien parfois, avec Maman, c’est qu’on a même plus besoin de mots pour se comprendre.
Je suis dans mon lit et je vais reprendre ma lecture de « Nos étoiles contraires » tout en écoutant Petit Biscuit que j’adore.
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